Tout était allé très vite, et pourtant ça m'avait semblé putain de long!
Le grondement menaçant du moteur rageur. Le pinceau de lumière qui accroche les yeux de ce foutu chat.. D'ordinaire, dans les rues chichement éclairées du quartier résidentiel, à part deux trois greffiers en maraude, je ne croisais personne à ces heurs là.
Mauvais timing... Un égaré des runs sauvages sur Yamhill road, probablement.
Trop prés à cause de l'embardée pour éviter l'animal en panique sur la chaussée. L'appel d'air, le déséquilibre, le choc sec de ma roue contre le rebord du trottoir...et ce fût la pirouette clownesque
Au ralenti, je pivotai en l'air autour de mon guidon qui semblait léviter...Et en contre plongée, je vis l'ombre furtive de ce con de chat filer sous une palissade.
Je pensais au cageot de provisions, acheté l’après midi en prévision du brunch dominical avec Susie.
je pensais à Susie qui attendait mon retour pour partir en patrouille , rassurée par ma présence à la maison pour veiller sur le sommeil d'Angel.
Je pensais à des trucs cons, durant ces interminables fractions de secondes durant lesquelles je planais dans le ciel froid et étoilé de février, sous les cris de protestation des pneus du chauffard, qui s'écorchaient contre le macadam sous la contrainte d'un freinage musclé.
...Et enfin,l'atterrissage, inéluctable et douloureux, fatalement.
Le macadam était dur et glacé. Je me suis mangé le sol comme une vielle merde, ce qui m'a un tantinet sonné.
Un flash:
Le souvenir d'un visage, d'un regard, récemment ravivé par celui d'une jeune voisine, étonnamment ressemblant. Ca me troublait , et,d'ailleurs, tout se troublait autour de moi, aussi... la fissure dans le bitume semblait onduler comme une couleuvre incongrue en ces lieux. Je clignai des yeux, enfin surtout du droit parce que le gauche semble engourdi de la paupière, engluée dans un sirop épais.
J'allais pas en plus partir dans les vapes... C'était pas vraiment un temps à bivouaquer! Il fallait que je me secoue...Que je cherche un appuis avec mes paumes pour me relever, tout en recollant progressivement avec la réalité.
Des gravillons s'incrustèrent dans ma paume droite sous le poids de mon corps encore engourdi et pesant. C'était pas franchement jouissif, comme réveil, mais putain d'efficace. Le douleur aiguillonnait ma lucidité.
Ma main gauche écrasa une boite de carton poisseuse.
Petits crissement caractéristique des coquilles broyées... Merde, mes œufs!
Manifestement, j'avais pas encore recouvré pleinement mes facultés de discernement, pour me préoccuper de ça au lieu d'essayer de faire le bilan de ma carcasse, empêtrée dans le cadre de mon vélo. Pestant contre cette maudite ferraille qui me compliquait la tâche, suffisamment pénible en soi, de tenter de me regrouper pour me mettre debout, Je trouvai dans la colère l’énergie nécessaire pour contraindre mon genoux endolori de plier. Encore un petit effort, et enfin j'allais pouvoir probablement me relever. C'était dans compter sur ce putain de vélo, qui s'accrochait encore comme un boulet à mon pied pour m'empêcher de me redresser!. Je tentai de rouler sur le coté pour libérer mes mains afin de me dégager enfin de mon carcan métallique, maudissant à présent le chauffard.
Contact glacial et rugueux avec le sol. L’œil gauche toujours clos, ma tempe palpitait. Sur que j'avais du m'ouvrir l'arcade à cause de ce connard de pilote du dimanche! Ben oui, on était déjà dimanche depuis une bonne heure...
L' œil droit, lui, bien ouvert, s'offrait un panoramique sur d"élégantes bottes en cuir fin, manifestement trop délicates pour chausser un homme.
Des effluves sucrées et capiteuses, dont les suaves fragrances tranchaient étrangement avec le froid vivifiant de cette funeste nuit flottait à présent dans l'air. et mon esprit passablement perturbé par les émotions induites par l'accident s'égara à nouveau. Des fragrances qui me conduisaient à nouveau, comme au moment du choc, à un retour dans le temps de 16 ans. Je l'avais aimée si fort, cette odeur subtile, que seule l'alchimie entre le célèbre parfum de Mugler et la peau de cette femme que j'avais eu le tord de trop chérir pouvait produire.
Cette foutue ville était décidément trop habitée par mes fantômes...
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