Lost is a lovely place to find yourself. | ft. Caden

Une soirée supplémentaire où la belle Alba était entrée dans ce bar, le Cornelius Pub, au bras d'un énième homme différent. Il ne l'intéressait que très peu pour être honnête, mais comme toujours, elle tentait minablement d'échapper à la solitude constante engendrée par le départ de ses géniteurs qui laissèrent un trou béant dans son quotidien. Elle n'était pas du genre à se plaindre Alba, non, elle agissait bêtement, certes, néanmoins elle donnait le meilleur d'elle-même pour ne pas sombrer. S'il y a bien une chose qui faisait la fierté de la tempétueuse blonde, c'était sa force de caractère qu'elle s'efforçait de travailler chaque jour un peu plus. Elle balayai le bar de son regard foudroyant, en quête d'un soupirant plus attrayant que l'actuel, qui l'ennuyait à mourir depuis déjà une bonne heure. Malgré tout, Alba détestait faire semblant autant qu'elle ne supportait pas l'ennuie. Après un insolent bâillement révélateur de la lassitude dont elle était victime, elle lâchai un sourire poli bien que forcé à son casanova écervelé avant de se lever, sans rompre son attitude tant glaciale qu'élégante, et de s'avancer vers le comptoir où servait ce soir, ce mystérieux barman. Il y travaillait depuis deux ans maintenant, si les souvenirs d'Alba n'étaient pas erronés. La demoiselle posai son sac promptement sur le comptoir, décortiquant dans les moindres détails, le jeune homme non loin d'elle. « Bonsoir. Pourrais-je te commander un verre de vieux rhum sans glace, s'il te plait ? » interrogeait-elle avec stupeur, s'efforçant d'afficher un sourire presque imperceptible sur son joli minois.

Les yeux rivés sur la clientèle du soir, il frottait machinalement les verres à l’aide d’un chiffon qu’il finissait par aligner les uns à côté des autres sur le bar. La main de sa collègue s’était posée sur son épaule pour l’avertir qu’elle partait, le remerciant au passage encore une fois de terminer le service seul. Faut dire que la soirée était calme après tout et contrairement à elle, il n’y avait personne qui l’attendait chez lui. Ça serait l’occasion pour Caden d’avoir un peu plus de travail, de récupérer aussi quelques pourboires en plus sur lesquels il ne cracherait pas dessus. Malheureusement pour lui, la clientèle du soir était majoritairement composée d’hommes et clairement, son charme opérait beaucoup moins avec eux. Ces mêmes hommes qui semblaient tous regarder dans la même direction quand elle s’était levée pour venir au bar. Il n’avait pas eu besoin de poser ses yeux sur elle pour savoir de qui il s’agissait, il y en avait peu qui savaient attirer autant l’attention qu’elle, sans doute parce que son arrogance charmait autant qu’elle en imposait. Alors quand Caden avait entendu sa voix l’interpeller, il s’était tourné vers elle sans manquer de jeter un bref coup d’œil à l’homme qui l’accompagnait. Attrapant  la bouteille de rhum en marchant en sa direction, il fit glisser un verre devant elle qu’il s’était mis à remplir. « Le rhum est censé aider à le rendre plus intéressant? » demande-t-il en posant son regard sur l’homme qu’elle avait laissé en plan. Cette fille, il la voyait souvent dans le coin, soit entourée de ses amis ou soit d’un homme généralement différent d’une fois à une autre, sans doute était-elle ce genre de filles qui se lassaient rapidement? « C’est rare de te voir au bar, normalement tu te démerdes pour qu’on t’apporte à boire, non? » glisse-t-il avec l’ombre d’un sourire sur ses lèvres.

Entre le moment de sa demande et l'exécution de celle-ci, il s'était seulement écoulé un court lapse de temps. Il était réceptif et vif le garçon, tout ce qu'Alba adorait. Elle saisit impatiemment le verre que le barman s'activait à remplir du délicieux breuvage commandé. Le caractère survolté de la belle s'était empressé de reprendre le dessus, incitant celle-ci à achever la pièce de théâtre qu'elle offrait ce soir, obligée de boire un vin blanc insipide mais féminin aux yeux de son rendez-vous de mauvais goût. Y retourner ? Elle n'y avait même pas songer, une seule seconde.

Elle toisait l'inconnu derrière le comptoir, qui apparemment, tentait une bribe d'humour qui, elle devait le reconnaître, lui arrachai un rire inavoué. « Oh, je crois que c'est fichu pour lui. Surtout à son âge, il me parait irrécupérable. » balançai la blonde dotée d'un visage aux airs ingénus mais de mots bien tranchants. C'est vrai, elle était du genre honnête Alba, ce qu'elle pensait, elle le disait. Malgré son éducation de la haute bourgeoisie, elle n'avait que faire de l'hypocrisie qu'imposait la bienséance sociale et adoptait ses propres codes. « Je me donne toujours les moyens d'avoir ce que je veux, c'est vrai. Disons, que j'ai plus d'intérêt à rester ici... pour l'instant. Tu préfères que je m'en aille ? » interrogeait-elle sur un ton plus doux presqu'enjôleur, sans pour autant, quitter son regard glacial et provocant, sa marque de fabrique, tout en portant son verre jusqu'à ses lèvres charnues et évidemment maquillées pour en savourer le contenu.

Fin observateur, Caden avait ce don de reconnaître facilement les clients réguliers. Certains venaient moins souvent, comme cette blonde installée au bar, mais elle attirait l’attention car c’était rare de la voir deux fois avec le même homme. Repartir seule? Il n’en avait pas souvenir, elle semblait toujours trouver chaussure à son pied le temps d’une soirée, voire même d'une nuit? Ce qui était certain, c’est qu’elle était parfaitement consciente du pouvoir qu’elle avait sur les hommes, il lui suffisait de l’écouter parler sans difficulté du raté qu’elle s’était coltinée ce soir. Il n’y avait pas une once de respect à l’égard de cet homme, à l’image de cette femme suffisante qu’elle était, ou donnait l’impression d’être. « Il appréciera le compliment » ironise-t-il en laissant son regard croiser enfin le sien. Même habitué, Caden devait mettre qu’elle dégageait une froideur insolente dont elle semblait jouer. Même son rire, il avait l’impression qu’elle le maitrisait d’une certaine façon, comme si elle offrait le strict minimum pour qu’on cherche à en obtenir plus et à devenir un pantin qui finissait par être incapable de lui refuser quoi que ce soit. « Je préfère que tu restes… pour l’instant » dit-il avec un sourire plus perceptible sur ses lèvres cette fois-ci, l’imitant volontairement sur la fin de sa réponse. Il s’était même penché au-dessus du bar pour se rapprocher un peu, le noir profond de son regard ancré dans l’océan de ses iris. « Mais contrairement à ce que tu dois penser, je préfère que tu restes pour le pourboire que tu es susceptible de me laisser, pas pour l’honneur que tu me fais de t’assoir à ce bar et de m’accorder toute ton attention. » souffle-t-il avant de se reculer pour ranger la bouteille de rhum parmi les autres. Il glissa le chiffon sur son épaule et repassa devant la belle blonde en attrapant les verres qu’il avait essuyés quelques instants plus tôt, histoire de les ranger à leur tour.

Peut-être que ses commentaires étaient bruts et sans détours, mais ils avaient le mérite d'être franc. Alba se trouvait être beaucoup de chose à la fois, mais certainement pas une simulatrice. Elle n'avait aucun soucis à biaiser l'image qu'elle pouvait réverbérer, en lâchant insensiblement cet homme banal, au contraire, elle n'était plus à ça près et ça évitai de susciter l'intérêt d'autrui à son égard, de peur d'être, une fois de plus, abandonnée.

La belle n'en revenait pas d'être passé à côté du jeune homme, sans jamais daigner le remarquer, au vu de son charisme irréfutable qui, contre toute attente, piqué sa curiosité. Cependant, comme sa routine l'imposait, elle ne laissait rien paraître, étant une actrice avertie, elle s'appliquait à rester de marbre en toute circonstance, du moins, pour l'instant. « Je ne vais pas m'excuser d'être honnête non ? Et puis quoi encore. » soupirai-t-elle en roulant des yeux avec cette célèbre insolence avant de poser son regard perçant, à nouveau sur le barman.

Alba sentai le souffle chaud du bel inconnu s'approcher de son visage, bien sûr qu'au fond, il parvenait à lui procurer une sensation malheureusement oubliée depuis trop longtemps qu'elle n'était pas prête d'extérioriser et elle faisait bien. Le jeu dans lequel se faufilait le tumultueux barman, c'était elle qui le menait habituellement, elle s'en trouvai autant frustrée qu'intéressée par ce retournement de situation inattendu. Loin d'elle la perspective de se laisser abattre, comme une débutante. Lors de son mouvement de recul, elle en profitai pour renverser habilement son verre à proximité du barman. Sa bouche s'entrouvai avec exagération, légèrement cachée par sa main ornée de bagues plus brillantes les unes que les autres. « Excuses-moi, apparemment, je suis maladroite ce soir.. Je vais t'en prendre un autre s'il te plait. » annonçai-t-elle avec une pointe de malice, son regard soutenant celui de son bel interlocuteur, faisant glisser une liasse indécente de billets sur le comptoir en direction de celui-ci. « Des pourboires bien mérités, pour le dérangement. » lançai-t-elle avec une moue, pour une fois, plutôt attendrissante bien que ce ne soit qu'une ruse pour tromper l'ennemi. Une autre qualité d'Alba, sa capacité d'adaptation, elle retombai, coûte que coûte, sur ses pattes.

Caden avait presque l’impression de se revoir en elle quelques années plus tôt. Lui aussi avait su être froid et insolent, faire usage de son franc parler pour marquer encore un peu plus cette indifférence qu’il avait envers le monde qui l’entourait. Ce n’est pas lui qui demanderait à une personne de mentir, l’honnêteté était l’une des qualité les plus importante à ses yeux. Tout ce que l’on tentait de cacher finissait tôt ou tard par ressurgir, soit en blessant, soit en se mettant dans la merde et bien souvent, il était difficile d’en sortir, expérience faite. « Je ne jugeais pas, je faisais juste un constat. » dit-il en se demandant si cet homme qu’elle avait laissé en plan se remettrait de ce rencard raté. Manquer une occasion de passer une soirée avec une femme comme la sulfureuse blonde, ça devait ruiner la confiance que l’on avait en soi, et l’ego détruit en milliers de petits morceaux par la même occasion.

Et c’est ce qui dérangeait un peu Caden au fond, elle n’avait pas même une once de compassion pour cet homme. Il avait alors décidé de jouer la carte de la solidarité masculine de manière subtile et de ne pas offrir ce qu’attendait celle qui l’avait vu se pencher vers elle. Une façon pour lui de montrer que tout ne tournait pas autour d’elle, en tout cas pas avec lui. Mais il avait fallu peu de temps à la jeune femme pour se remettre en selle et montrer à Caden qu’on ne se jouait pas d’elle aussi facilement. Il n’avait rien répondu à ses paroles, il s’était contenté de venir essuyer le rhum renversé et de ramasser le verre à côté duquel elle avait glissé une liasse de billets, accompagnée par une remarque qui le fit froncer les sourcils. « J’appelle pas ça un pourboire. » rétorque-t-il presque aussitôt sans même toucher aux billets. C’était osé de sa part et presque insultant, comme si elle cherchait à imposer sa supériorité. Attrapant un autre verre, il le fit claquer sur le comptoir avant de le remplir et de percer à vif le regard de la blonde. « J’appelle ça un manque de respect. » dit-il en repoussant la liasse de billets vers elle, conscient qu’il crachait sur ce dont il avait assurément besoin. « Ou une façon d’essuyer le rejet que tu viens de te ramasser. » ajoute-t-il avec un sourire qui en disait long. Elle pouvait jouer avec qui elle le voulait, mais Caden avait un avantage, c'est qu'il l'avait suffisamment observée par le passé pour se faire une idée sur sa personne. « Enfin, santé. »

En réalité, Alba n'en avait que faire d'être jugée par quelconque personne, peut-être était-ce dû à son passé de lycéenne à la réputation, bien qu'erronée, de sulfureuse cheerleader. La pression sociale subit au long de ces années, heureusement derrière elle, avait été telle qu'elle se surprenait aujourd'hui à endosser ce rôle qu'elle ne savait feinter que trop bien, sûrement parce que c'est ce qu'on attendait d'elle, depuis toujours. Le contraste entre l'indifférence que portait le jeune homme à Alba et la façon dont, d'une certaine manière, il se justifiai allouai à Nora, un prémisse de victoire, sans préméditer qu'elle était bien loin du compte. « Bien. » ajoutai-t-elle brièvement.

Alba se retournai afin de suivre le regard du barman et tombai sur le pauvre homme qu'elle avait lâchement abandonné plus tôt dans la soirée, accompagnée d'une blonde, non pas une femme, mais une gigantesque chope de bière dans laquelle il essayait, visiblement, de trouver un certain réconfort face à son échec nocturne.

Interpellée à nouveau par la voix pénétrante du jeune homme, elle pivotai sur son tabouret toujours avec élégance, pour s'orienter face à lui. Visiblement, il paraissait offusqué par le geste impulsif de la jeune blonde, ce qui inhabituellement, lui fit presque ressentir une once de remords. Elle ne pouvait s'empêcher cependant, par fierté, d'afficher son sourire provocateur qu'il allait commencer à saisir. Elle était consciente que ce n'était pas malin, que ce pauvre homme qui, qui plus est, travaillait d'arrache pieds dans ce bar ne lui avait rien demandé. Ce n'était pas lui non plus qui avait poussé ses parents à partir jouer aux adolescents escervelés pendant plus de deux ans, sans plus donner de nouvelle à leur propre fille. Malgré tout ça, il fallait qu'elle se venge d'eux et les malheureux qui croisaient son chemin trinquaient à tous les coups. Elle était partagée entre le fait de capituler et de s'adoucir ou surenchérir bêtement une fois de plus... Après tout, il était une des rares personnes à lui tenir tête alors, sûrement méritait-il un traitement de faveur, du moins c'est ce que c'était aux yeux de la charmante Alba. « Ecoutes, je suis allée trop loin.. j'imagine, au vu de ta réaction. Ce n'était pas mon intention de te manquer de respect. » avoua-t-elle dans un long murmure en guise d'excuses. Il fallait être indulgent avec la demoiselle, qui n'avait pas pour habitude de s'aplatir. D'ailleurs, impossible se rappeler la dernière fois qu'elle avait, plus ou moins, demandé le pardon de quelqu'un avant ce soir. « Mais prends cet argent. Ce n'est même pas le mien, tu vois, alors... » soupirai-t-elle sans pour autant perdre la face. Malgré sa pseudo-douceur temporaire, son regard restait froid, comme toujours depuis leur départ.

Un mal être profond. C’est ce qu’il avait pensé en la regardant en train de lui sourire malgré ce qu’il avait dit. Garder cette attitude sur son visage quand on venait de faire de la merde, c’était le signe d’une personne qui se protégeait de ce qui pouvait la toucher. Caden était bien placé pour le savoir, pendant des années il avait gardé un masque duquel il ne pensait jamais se départir. C’était beaucoup plus facile de paraître insensible, de n’avoir aucune compassion pour les gens, de ne pas avoir à se soucier d’eux afin de ne pas éprouver la moindre pitié, car jamais personne ne s’était soucié de lui, alors pourquoi aurait-il dû le faire pour les autres? Seulement il y a des rencontres qui peuvent changer un homme, il suffit d’une femme, il suffit d’un regard pour se sentir soudainement valoriser, sans y ressentir le moindre mépris, la moindre pitié. Peut-être que c’est ce qu’il manquait à cette fille devant lui, car elle n’avait rien d’une femme dans son attitude, elle avait agi par fierté, juste histoire d’avoir le dernier mot et de pouvoir continuer de garder son sourire aux lèvres. On aimait pas montrer ses faiblesses, on voulait pas qu’un inconnu puisse les connaître, alors on se protégeait en étant imbuvables, parce que ça les repoussait immédiatement et on se sentait fiers, forts, presque intouchables… jusqu’à ce que quelqu’un ne vous ramène sur terre.

Est-ce qu’elle méritait l’aide de Caden? Est-ce qu’elle méritait qu’il s’intéresse à elle après qu’elle l’ait traité de la sorte? Sûrement, parce qu’on avait tenté de l’aider par le passé alors qu’il ne le méritait certainement pas. Comme elle, Caden ne s’était jamais excusé, les mots pardon et désolé avaient longtemps été bannis de son vocabulaire. Alors quand elle cherchait à l’être de son geste, le regard du barman s’était adouci, il se doutait de l’effort que ça devait être pour elle. Pourtant il n’avait pas envie de lui rendre la tâche facile, elle devait apprendre. « C’était pas ton intention, parce que tu t’en fous de ce que pensent les gens. Tu te sers d’eux, comme tu t’es servi de ce type ce soir. » balance-t-il d’une traite, sans vraiment lui laisser la chance de s’exprimer. « On se connaît pas et pourtant, à chaque fois que je te vois ici, j’ai l’impression de savoir pourquoi t’es là. » reprit-il sans pour autant en dire plus. Elle ne chercherait sûrement pas à savoir ce qu’il sous-entendait, parce que sans doute qu’elle aurait peur d’entendre la vérité. On n’aimait pas voir nos faiblesses exposées, encore plus de la part d’un inconnu. Détournant son regard, il avait encore repoussé la liasse de billets vers elle, comme pour l’inciter à la ranger dans son sac, on restait dans un bar, les regards indiscrets étaient nombreux dans le coin. « C’est le problème, c’est avec ton argent que tu offres un pourboire, pas avec l’argent des autres. » dit-il en s’écartant pour aller déposer le verre précédemment renversé dans l’évier.

Les mots cinglants, bien que véridique, du barman raisonnai tel le tonnerre un soir d'orage en Alba. Comment pourrait-elle lui donner tort quand elle savait pertinemment qu'il avait raison, c'était inévitablement, indiscutable. Ce n'était pas dans les habitudes de l'arrogante demoiselle de s'avouer vaincue, de capituler et baisser les bras. Depuis deux ans, elle n'avait jamais cédé à la mélancolie permanente qui rongeai petit à petit, le moindre recoin de son esprit, à tel point qu'elle pouvait ressentir chaque cellule de son corps souffrir. Souffrance, engendrées par des maux psychologiques bien ancrés. Personne n'avait le droit de voir cette part insoupçonnée d'Alba, elle était bien trop craintive pour ça. Tout le monde peut changer, me direz-vous. Certes, cependant, seule, cela s'avérait une tâche bien compliquée une fois les mauvaises habitudes bien installées. Peut-être un jour, quelqu'un lui prendrai miraculeusement la main pour l'emmener vers des jours meilleurs ? Peut-être même qu'un jour ce passé chaotique serait derrière, bien que présent, mais elle en aurait fait une force et non plus une faiblesse bien mal camouflée.

Alba, froissée bien qu'irréfutablement impressionnée par l'audace de l'homme face à elle, avait pour une fois le souffle coupé, la gorge nouée et laissai un long silence derrière elle. C'était bien la première fois que quelqu'un parvenait à lui couper le sifflet, elle avait presque, ironiquement, envie de l'applaudir, malheureusement ou heureusement elle n'eue pas ce réflexe. « Tu ne sais absolument pas de quoi tu parles. On se connait peut-être toi et moi ? » lançai-t-elle tant bien que mal sur un ton agacé, gorge nouée, après avoir descendu une bonne gorgée de son verre de rhum qu'elle reposait sèchement sur le comptoir. Il l'avait touché, elle le savait, mais elle ne concédait certainement pas à couler. « Alors, éclaires-moi donc petit génie, pourquoi je suis là ? » questionnai la belle blonde levant un sourcil qui lui collait un air inquisiteur.

Décidément, elle était bien maladroite, alors qu'elle avait envie de lui hurler de l'aider, sa petite voix intérieure ne cessait de lui conseiller le contraire. Après tout, pourquoi un inconnu s'occuperait-il d'elle, alors que ces chers géniteurs n'avait daigné le faire eux-même.

Dos à elle, à faire couler l’eau sur le verre qu’il nettoyait, il entendait la crispation dans sa voix, sûrement touchée là où ça fait mal. Elle devait se demander de quel droit il lui parlait comme ça, pour qui se prenait-il pour lui balancer des mots de la sorte en pleine gueule? Sa réaction en disait long et en arrêtant de faire couler l’eau, il s’était retourné vers elle en prenant appui contre le meuble derrière lui. « Non, on ne se connaît pas, mais ça ne m’empêche pas de savoir pourquoi t’es encore là. » Encore. Parce que les gens qui ne craignait pas de se retrouver seuls, ne s’éternisaient pas dans un bar après un rendez-vous manqué. Non, ces personnes rentraient chez elles pour oublier cette soirée, pour se changer les idées devant une vieille rediffusion qui passait en fin de soirée, à s’enfiler un pot de glace ou encore à se perdre sur les réseaux sociaux et à envier ceux qui avaient une vie bien remplie.

Il s’était avancé vers elle en reprenant la bouteille de rhum au passage. Elle n’avait pas terminé son verre, mais il savait qu’elle risquait d’en avoir besoin d’un rempli à ras bord pour encaisser ce qu’il s’apprêtait à lui balancer. Peut-être qu’elle n’avait pas traversé la même chose que lui, mais il n’avait pas besoin d’être devin pour comprendre ce qu’elle faisait ici, ça faisait deux ans, deux ans qu’elle répétait le même schéma, est-ce que ça ne choquait que lui, vraiment? « T’es prête? » Question réthorique, il était trop tard pour revenir en arrière. Il avait attendu que le verre soit plein pour planter son regard dans le sien et de devenir ce petit génie. « T’es là, parce que t’es seule, parce que t’as personne dans ta vie. Depuis que je bosse ici, je te vois fréquenter des mecs dans ce bar, tous plus différents les uns que les autres et ça, c’est le signe d’une femme complètement paumée, qui a peur de rentrer chez elle et de faire face à cette solitude qui la ronge, parce qu’elle se sent délaissée, abandonnée voire inexistante aux yeux des gens. » claque-t-il sèchement sans la quitter des yeux. Il ne cherche pas à arrondir les angles, elle voulait que le petit génie l’éclaire? Il est clairement en train de lui rendre la vue ce soir. « N’importe quelle femme qui se coltine un rencard comme le tien ne reste pas dans ce bar en cherchant un plan B. Non, une femme déçue rentre chez elle et chiale un bon coup en se disant qu’elle trouvera un meilleur type un autre jour, que c’est la vie, que ça arrive. Elle se fout d’être seule au fond, elle s’accroche simplement à l’espoir de trouver le bon quand toi, t’as juste le besoin de ramener un homme pour qu’il te fasse oublier que t’es seule. Qu’il te te donne l’impression que tu es importante quand il te regarde. Seulement t’as aucun respect pour lui et le plus triste, c’est que t’en as encore moins pour toi car t’es incapable de t’estimer à ta juste valeur en t’offrant à n’importe qui. » termine-t-il presque agacé, le poing serré sur le comptoir. Il n’en savait rien si elle passait la nuit avec ces types, mais il était prêt à parier que oui, ça semblait tellement correspondre à ce personnage qu’elle offrait en spectacle que ça le rendait malade pour elle, de se souiller de la sorte. Il soupirait lourdement, à garder son regard ancré dans le sien pour finalement conclure sa tirade. « On se connait pas, c’est vrai. Mais je connais ce masque derrière lequel tu te réfugies, parce que je m’en suis aussi servi pour me protéger, mais il ne m’a jamais apporté quoi que ce soit de bon. » conclue-t-il en se redressant, comme s’il cherchait à lui laisser suffisamment d’espace pour respirer, pour encaisser.

Alba ne s'attendait pas à une telle déferlante de mots de la part du barman, d'habitude peu avare de paroles. Elle ne se doutait pas un seul instant, que ce hochement de tête approbateur presque enfantin à son, « t'es prête », mènerai ce dernier à un exposé décortiqué et précis de la vie d'Alba. C'était tout ce qu'elle s'efforçait d'enfouir et camoufler, depuis bientôt deux ans, qui se retrouvai là, subitement étalé sur un comptoir de bar. Instinctivement, la jeune blonde, bien que captivée malgré elle, par le discours peu flatteur mais réel que le bellâtre pouvait avoir à son égard, ne pu s'empêcher de zieuter d'un regard vif si quelqu'un pouvait entendre cette conversation. Après cet bref aparté, son attention toute entière était de nouveau comme aspirée par cet inconnu, qui finalement donnait l'impression de la connaître par coeur. Elle se trouvai là, bouche bée, son masque violemment arraché, presque percée à nue devant lui, sans parvenir, pour la toute première fois, à retourner la situation en sa faveur.

Plus il parlait, plus la colère montait au même rythme effréné que l'humiliation blessante bien que nécessaire, qu'il lui infligeait. Bien sûr, tout ces sentiments étaient encore bien enfouie et à l'abri des regards dans son for intérieur. Et puis quoi encore ? Elle était déjà poussée au bord du précipice par l'homme face à elle, elle n'allait pas, de surcroît, exhiber sa vulnérabilité perforante aux yeux du grand public.

C'est avec surprise que ses doigts glissés délicatement sur ses joues rosées et honteusement brûlantes, sentiment inauguré ce soir au Cornelius Pub, quelle joie ! Elle était partagée, Alba. Après tout, elle n'attendait que ça, qu'on fasse attention à elle de la plus noble des manières, c'était chose faite. Ça faisait mal, certes, mais ce qu'elle ignorait à son jeune âge, c'est que ça allait s'avérer essentiel à sa survie.

Une fois le discours du petit génie achevé, elle prit une grande bouffée d'air afin de ne pas se laisser submerger par des émotions puissantes et incontrôlées. Lui mettre une claque ? C'est probablement ce que la Alba de ce début de soirée aurait fait. Quant à celle de cette fin de soirée, elle décidai simplement de se lever, un sourire figé et travaillé accroché à son minois quand ses yeux, eux, ampli de douleur parlaient pour elle. « Merci. » dit-elle promptement avant de tourner les talons, enfiler son masque aussi glacial qu'arrogant et de s'éclipser par la grande porte, comme la princesse Williams qu'elle se devait de paraître dans cette petite ville, où tout le monde parle, parfois trop.

Ces mots, il aurait pu se les adresser il y a des années en arrière en se regardant dans un miroir, mais certainement qu’il aurait été beaucoup moins tendre. Il avait remarqué à son attitude qu’elle semblait enfin lui porter un certain intérêt, peut-être parce qu’elle espérait qu’il se taise? Même lorsqu’elle avait regardé discrètement autour d’eux, il n’avait pas cherché à baisser le ton de sa voix, elle avait voulu entendre le petit génie? Elle l’entendrait jusqu’au bout. Sans doute s’était-elle mise en tête qu’il cherchait uniquement à lui faire peur, mais Caden ne balance jamais des paroles dans le vide, il les pense et les appuie ensuite. Malheureusement pour la belle blonde, les paroles du barman appuyaient là où ça faisait mal et même si elle tentait de faire bonne figure, il y a des gestes qui ne trompent pas. Son absence de répondant voulait tout dire, tout comme le rouge qui s’était invité sur ses joues qu’elle avait cherché à faire disparaître sous ses doigts. Le regard de Caden n’avait cessé de s’accrocher au sien, les mains posés sur le comptoir, il la regardait dans ce silence qui semblait s’être installé, et pas qu’entre eux, mais dans le pub tout entier.

Malgré ça, elle avait eu la force de continuer à lui sourire, un sourire qui ne valait rien quand dans son regard, cette arrogance qu’elle arborait habituellement avait disparu, comme engloutie par des émotions qu’elle était incapable de gérer. D’entre ses lèvres, un seul mot en sortit avant qu’elle ne se dirige vers la sortie. Silencieux, Caden l’avait regardée disparaître sans dire un mot, bien qu’au fond de lui il espérait que ce qu’elle venait d’entendre puisse faire écho en elle, au moins juste un peu. Laissant un soupire s’échapper de ses lèvres, il avait fini par détourner le regard vers le reste de la clientèle qui était tournée en sa direction. Grimaçant légèrement, il leva sa main en signe d’excuse et attrapa la bouteille d’alcool qu’il trouvera en la présentant devant lui « Désolé pour le dérangement, la prochaine tournée, c’est moi qui régale! » annonça-t-il en entendant aussitôt les cris de joie effacer le silence qui s’était installé. Il regrettait déjà d’avoir refusé cette liasse que la blonde lui avait tendu quelques instants plus tôt. Ce soir, les pourboires il ne ferait qu’en rêver.